« De quoi les enfants nés en Syrie sont-ils coupables pour grandir dans de telles conditions, avec le sentiment d’être abandonnés par la France ? »

TRIBUNE du Monde du 271224 par Patrick Baudouin, avocat et président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme et de la Ligue des droits de l’homme & Françoise Dumont, présidente d’honneur de la Ligue des droits de l’homme

Plus de cent vingt enfants français nés en Syrie y sont encore. Leur rapatriement est une urgence, affirment Patrick Baudouin et Françoise Dumont, présidents d’honneur de la Ligue des droits de l’homme.

Lorsque, en 2019, l’organisation Etat islamique a perdu ses derniers territoires, de nombreux enfants se sont retrouvés aux mains des autorités kurdes, détenus avec leur mère dans différents camps, notamment à Roj et Al-Hol, dans le Nord-Est syrien. A leur arrivée dans ces camps, la plupart d’entre eux étaient très jeunes, d’autres y sont nés.

Au fil des mois, les différents pays concernés ont rapatrié ces familles, la France a fait progressivement de même mais en traînant beaucoup les pieds, en dépit de sa condamnation par les comités onusiens et la Cour européenne des droits de l’homme.

Pourtant, elle ne pouvait méconnaître les conditions épouvantables dans lesquelles ces enfants ont vécu pendant plusieurs années : exposés au froid, à la chaleur, sous-alimentés, sans suivi médical ni psychologique, sans scolarisation, à la merci de bombardements turcs et d’infiltrations de groupes djihadistes encore très présents dans la région…

Drôle de façon pour les autorités françaises d’assumer leur mission absolue de protection de l’enfance et de respecter la Convention internationale des droits de l’enfant dont nous nous enorgueillissons si souvent d’être signataires.

Plus aucun rapatriement

Après plusieurs vagues de rapatriement, qui ont permis à environ 360 enfants de retrouver le sol français – le sol de leur pays –, plus aucun retour n’a eu lieu depuis 2023. Il reste aujourd’hui dans le camp de Al-Hol 120 enfants et une cinquantaine de mères, qui refusent, pour diverses raisons, de signer un papier par lequel elles formulent explicitement leur demande de rapatriement. La France est d’ailleurs le seul pays à exiger de ces femmes une telle démarche.

Il faut ajouter à ces 120 enfants six autres plus âgés, transférés par les autorités kurdes dans les « centres de réhabilitation » d’Orkech et de Houry et qui sont retenus là sans protection consulaire, sans accès à un juge ou un avocat, dans un état physique et psychologique catastrophique et qui ne cesse de se dégrader. De quoi sont-ils coupables pour grandir dans de telles conditions, avec le sentiment d’être abandonnés par la France, ce qui, à terme, ne peut que favoriser leur radicalisation ?

En réalité, ils ne sont coupables de rien, si ce n’est des choix de leurs parents, et, si ceux-ci doivent légitimement rendre des comptes à la justice, les enfants, eux, ne doivent payer ni pour les actes, ni pour les erreurs de ceux qui les ont entraînés dans leur funeste projet. Du reste, les retours que nous pouvons avoir concernant les rapatriés montrent que leur réadaptation se passe bien.

Devoir de protection

Aujourd’hui, la situation en Syrie s’est emballée avec la chute rapide de Bachar Al-Assad. Mais elle est très confuse, et le rôle de chacun des protagonistes en présence sur le terrain reste très incertain. Nous ne pouvons pas accepter que ces ressortissants français soient pris dans des affrontements sanglants entre groupes favorables à l’ancien régime, mouvements djihadistes, forces kurdes et turques.

On peut aussi craindre que certains enfants soient récupérés par des groupes qui pourraient les endoctriner et en faire des combattants. Leur rapatriement est une urgence. C’est leur vie même qui est en jeu et cela, à court terme. La France ne doit pas ignorer les dangers qui les menacent et se déshonorerait en se soustrayant à son devoir de protection.

En 2019, le président Emmanuel Macron affirmait : « La France est un pays qui n’abandonne jamais ses enfants, [quelles que soient les circonstances et fût-ce] à l’autre bout [de la planète]. » Il est grand temps que la parole donnée aux adultes – tout comme aux enfants – soit enfin respectée.



« L ’heure est grave » : pourquoi les familles des enfants français retenus en Syrie appellent plus que jamais à leur retour

Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, les proches des enfants de djihadistes français toujours présents dans un camp de réfugiés du nord de la Syrie craignent que la période de grande incertitude qui s’ouvre dans le pays ne les mette en danger. Au total, 120 jeunes ressortissants sont encore bloqués sur place.

Par Maëlane Loaëc du Parisien, le 12 décembre 2024 à 19h31, modifié le 12 décembre 2024 à 20h52

Depuis juillet 2023, plus aucun rapatriement d’enfants français n’a été organisé. Ils sont actuellement 120 à vivre dans des conditions très précaires dans le camp de Roj, dans le nord-est du pays (Photo d’illustration). AFP/Delil SOULEIMAN

« On a, pour ainsi dire, l’habitude d’avoir peur ». Depuis plus de six ans, Bertrand (le prénom a été modifié) vit dans « l’angoisse quasi quotidienne » de savoir ses quatre petits enfants, âgés de 6 à 14 ans, bloqués dans le camp de réfugiés de Roj, dans le nord-est de la Syrie, à la merci « du froid en hiver, des canicules l’été, des maladies et des accidents ». En tout, ils sont 120 enfants de Français djihadistes à y survivre, un calvaire qu’il avait vu de ses propres yeux lors d’une visite en février et août dernier. Mais depuis quelques jours, ses craintes ont atteint « un degré supplémentaire ».

Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad dimanche Bertrand se réjouitde voir cette « tyrannie s’effondrer » mais il craint aussi que la période degrande incertitude qui s’ouvre en Syrie n’expose ces enfants à des risquesaccrus. « Nous sommes extrêmement inquiets il faut les rapatrier d’urgence» insiste le grand-père membre Collectif des Familles Unies rassemblantdes proches de ces jeunes ressortissants.

Au total 364 enfants de djihadistes ont été rapatriés ces dernières années parla France qui a été condamnée par plusieurs instances internationales pourson inaction sur le sujet. Parmi eux 169 l’ont été depuis 2019 dans le cadred’opérations complexes de rapatriement indique au Parisien une sourcediplomatique. Mais depuis juillet 2023 les retours ont été stoppés au granddam des familles qui appellent plus que jamais à faire rentrer les 120 enfants laissés sur le carreau.

« La France doit arrêter de jouer avec le feu »

Car avec le bouleversement que traverse actuellement la Syrie leur précarités’aggrave encore. « Le cours de la livre syrienne a chuté les prix des produitsde première nécessité se sont envolés et il est très difficile de pouvoircontinuer à envoyer de l’argent au camp » explique Bertrand. Mais au-delàde ça c’est la sécurité même des enfants qui inquiète : l’instabilité actuellepourrait déboucher sur une intensification des attaques contre les forceskurdes. Ces dernières contrôlent à ce jour le nord-est du pays où se situentles camps de réfugiés et se retrouve dans le viseur d’Ankara

Des bombardements turcs visaient déjà régulièrement des sites à proximitéde ces camps mais les proches redoutent désormais qu’ils se multiplient. «Soit les enfants vont être blessés ou mourir sous les bombes soit les campsvont être évacués et on va les perdre complètement » résume Me Marié Doséavocate du collectif qui se dit « très inquiète ». En 2019 un camp ainsiattaqué avait ouvert ses portes et des mères et leurs enfants français avaientpris la fuite sans que leur trace soit jamais retrouvée pour nombre d’entreeux. « Il faut agir vite maintenant.

La région est tellement instable que les enfants pourraient aussi se retrouver àla merci de combats entre les différents groupes armés actifs a fortiori sil’État islamique profite du chaos général pour gagner en puissance. « Lerapatriement est encore plus urgent qu’avant il n’y a pas le temps d’attendre » appuie Bénédicte Jeannerod directrice France de l’ONG Human RightsWatch. « On est dans une telle période d’instabilité et de volatilité que c’estune zone qui pourrait être sujette à grandes secousses d’autant plus qu’ungrand nombre de réfugiés affluent vers le nord » développe-t-elle.

Une fenêtre à ne pas manquer ?

« On craint qu’ils soient pris dans des affrontements qui peuvent êtresanglants » abonde également Patrick Baudouin président d’honneur de laLigue des Droits de l’Homme qui lance un vrai « cri d’alarme » : « S’ils sontpris dans cet engrenage on ne sait pas du tout ce qu’il peut en advenir ». Il soulève même un vrai enjeu sécuritaire avec la possibilité que ces enfantssoient « récupérés par de groupes djihadistes ou violents qui pourraient lesendoctriner et en faire des enfants combattants ». Quelques jours plus tôt leprocureur antiterroriste Olivier Christen avait assuré à l’inverse que lesenfants rapatriés en France ces dernières années ne « posent aucune difficultéparticulière » bien loin des craintes qu’ils ne deviennent des « bombes àretardement ».

Face à cette myriade de risques le temps presse : « Il se peut très bien quedans les jours à venir la situation soit tellement instable et dangereuse qu’ilsoit matériellement difficile de planifier un rapatriement » insiste leprésident d’honneur de la LDH qui appelle à agir « tant que c’est encorepossible ». Une vraie fenêtre d’opportunité se dessine puisqu’il n’y aactuellement « aucune difficulté pour accéder au nord est syrien » soulignede son côté Me Marie Dosé.

Optimiste Me Emmanuel Daoud voit même dans l’incertitude actuelle lesgermes d’une stabilisation si le nouveau régime en place emmené par unecoalition de rebelles offre des gages de stabilité et de respect démocratique. «Évidemment c’est un moment de chaos potentiel mais dès lors que l’on vavers une normalisation des relations diplomatiques avec un gouvernementdéclaré comme légitime c’est une nouvelle donne qui devrait permettre plusfacilement le retour des enfants » veut croire cet avocat qui représente deuxfamilles. Ce qui ne laisserait selon lui plus aucune raison aux autoritésfrançaises pour refuser les retours elles qui ont longtemps justifié leurdécision par la dangerosité de la situation sur place.

Quelles que soient les modalités pour organiser les opérations touss’accordent en tout cas sur un point : Paris ne peut plus attendre. « Il esttemps qu’elle respecte enfin ses engagements internationaux » insiste MeEmmanuel Daoud. Pour la LDH il est l’heure plus que jamais de mettre fin au« déshonneur de la France sur le sujet ». Et Marie Dosé de rappeler les motsdu président Emmanuel Macron lui-même qui affirmait en 2019 que laFrance « est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants (…) fusse àl’autre bout de la planète ». Contacté le quai d’Orsay a refusé de faire descommentaires sur la situation de ces jeunes ressortissants.

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Chute de Bachar el-Assad : “Il y a urgence à rapatrier les enfants français détenus en Syrie”

Que vont devenir les enfants de djihadistes toujours retenus dans les camps du nord syrien ? Pour Marie Dosé, avocate du Collectif des familles unies, la chute du régime offre une “fenêtre de tir” qui doit enfin permettre leur rapatriement.

Par  Julia Vergely de Télérama, publié le 10 décembre 2024 à 17h42

Le camp de réfugiés de Al-Hol, situé dans le nord de la Syrie, près de la frontière syro-irakienne.  Photo Delil Souleiman/AFP

Cent vingt enfants français sont encore aujourd’hui détenus dans des camps en Syrie. Ils ont été emmenés de force dans le pays par leurs parents, français eux aussi, djihadistes convaincus et radicalisés, partis rejoindre Daech avant la chute du califat en 2019. Depuis, ils sont des dizaines d’enfants à croupir dans les camps tenus par les Kurdes, affrontant des conditions de vie effroyables. Plusieurs ONG (Unicef, Human Rights Watch, Ligue des droits de l’homme, Amnesty international, FIDH…) plaident pourtant depuis longtemps en faveur de leur retour. Jusqu’ici, les rapatriements d’enfants, avec leur mère, restent sporadiques, permis au cas par cas. Et malgré plusieurs condamnations (en 2022 et 2023 par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité de l’ONU pour les droits de l’enfant et celui contre la torture), la France se refuse encore à leur rapatriement massif. En violation du droit international et de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Que faut-il craindre aujourd’hui, avec la chute du régime de Bachar el-Assad, pour ces enfants ? La situation d’extrême urgence mérite attention, pour Marie Dosé, avocate du Collectif des familles unies, regroupant les familles des enfants détenus.

Cent vingt enfants français sont toujours détenus en Syrie. Que savez-vous de leur situation aujourd’hui ?

La situation actuelle nous fait très peur. Pour l’instant, le nord-est syrien n’est pas concerné par la chute du régime, mais les Turcs profitent de l’instabilité pour cibler de nouveau le Rojava (Kurdistan syrien, région située au nord-est de la Syrie), et redoubler les attaques. Les bombardements se perpétuent à quelques kilomètres des camps. Depuis la chute du régime, les familles ne peuvent plus envoyer d’argent. Les enfants n’ont pas à manger et manquent de tout. L’hiver arrive. Nous sommes très inquiets. Avec Avocats sans frontière France et quelques grands-parents, nous nous sommes rendus dans les camps en août dernier. Nous avons également visité les centres de réhabilitation des prisons du Rojava, puisque désormais on y trouve quelques garçons qui ont grandi dans les camps et qui ont atteint l’âge de 14 ou 15 ans. Nous avons déposé des demandes de rapatriement de plusieurs enfants et de jeunes majeurs. S’il y a une fenêtre de tir, elle est là : c’est maintenant qu’il faut rapatrier tout le monde. Maintenant ! D’autant que la frontière entre le Kurdistan irakien et le Rojava étant ouverte, les journalistes peuvent s’y rendre sans difficulté aucune ! Il faut y aller. Je me suis entretenu avec des mères, avec des enfants, j’ai transmis à Emmanuel Macron et au Quai d’Orsay des demandes de rapatriements en février, en septembre encore… Il y a urgence, il faut vraiment se dépêcher pour sauver ces enfants.

En ne rapatriant pas ces enfants la France ne respecte pas le droit international.
Qu’a-t-on à craindre pour leur sort dans un avenir proche ?

Tout le monde se réjouit de la chute de Bachar el-Assad, et la citoyenne que je suis aussi. La difficulté désormais est de savoir qui va le remplacer et quelle va être la situation dans les semaines à venir. Si les Turcs en profitent pour vraiment attaquer le Rojava, alors ce qui est à craindre, c’est la mort de ces enfants. Si les rebelles, qui viennent quand même de l’État islamique et d’Al-Qaïda, vont jusque là-bas, que vont-ils faire de ces enfants ? Les enrôler ? Ce qui est à craindre, c’est qu’on perde leur trace. Comme tant d’enfants qui se trouvaient au camp de réfugiés d’Al-Hol et qui ont disparu lorsqu’il y a eu des évasions. Encore une fois, pour des impératifs humanitaires et sécuritaires, il faut les rapatrier tout de suite.

La chute du régime d’Assad peut-elle changer la donne ?

Elle le doit ! On veut que toutes ces femmes et ces enfants se retrouvent dispersés en Syrie et qu’on perde leur trace ? Il s’agit d’une question sécuritaire. Même les associations de victimes du terrorisme demandent ces rapatriements depuis des années et nous aident. Il est question de jeunes majeurs et de mineurs, qui n’ont rien demandé, qui ont été emmenés à 8 ou 10 ans par leurs parents, et qui sont en train de souffrir le martyre dans des centres de réhabilitation, comme le centre Orkesh (tenu par les Kurdes), coupés de leur famille… Il faut se rendre compte : la France a oublié, en rapatriant une mère et ses enfants, l’aîné de la fratrie qui est toujours au centre Orkesh ! Il y a encore quinze jours, la Russie a rapatrié des dizaines et des dizaines d’enfants. Donc ce n’est pas compliqué. En ne rapatriant pas ces enfants, la France ne respecte pas le droit international, ni l’arrêt de la Cour européenne qui l’a condamnée. Avec le Collectif des familles unies, nous faisons pression, nous écrivons au Quai d’Orsay, à l’Élysée… On ne fait que ça. Aucune réponse. Il faut les sauver maintenant, et vite.

« Ces hommes et femmes nés et radicalisés en France doivent répondre pénalement de leur responsabilité sur le sol français »

Un collectif de victimes des attentats d’avocats de Français détenus en Irak ou victimes du terrorisme demandent dans une tribune au « Monde » aux autorités françaises de rapatrier 14 prisonniers pour assurer leur jugement dans l’Hexagone.

TRIBUNE du journal Le Monde par le Collectif. Publié le 26 novembre 2024 à 16h00, modifié le 26 novembre 2024 à 18h24 

Depuis des années, deux femmes et douze hommes français, poursuivis en France pour association de malfaiteurs à caractère terroriste, sont emprisonnés en Irak. Tous ont été condamnés entre 2017 et 2019 à la peine de mort (commuée en réclusion criminelle à perpétuité) ou à vingt ans d’emprisonnement, après des simulacres de procès inéquitables, au mépris des droits les plus élémentaires de la défense.

Les enfants des deux femmes françaises ont été emprisonnés avec leurs mères, avant d’être rapatriés sans elles en France. Depuis, ils n’ont plus jamais entendu la voix de leurs mères, ni reçu la moindre nouvelle d’elles. Les conditions de détention de ces quatorze ressortissants français équivalent à des traitements inhumains et dégradants.

Les hommes survivent dans des cellules de moins de 100 mètres carrés où s’entassent plus de 130 prisonniers, ils manquent d’eau, de nourriture, et ne bénéficient d’aucun soin ni d’aucun traitement. Les femmes n’ont droit à rien : ni stylo, ni papier, ni livre, ni télévision. Elles aussi sont entassées dans des cellules délabrées, sans accès aux soins les plus sommaires, et sont régulièrement humiliées et maltraitées.

Cette histoire judiciaire est notre histoire

Depuis leur départ et leur arrivée en Syrie ou en Irak, soit depuis dix ans au moins, des juges d’instruction antiterroristes français instruisent leurs dossiers. Tous ont délivré des mandats d’arrêt internationaux à leur encontre, dans le cadre d’informations judiciaires criminelles en souffrance du fait de leur absence et de leur incarcération en Irak. Des procès doivent se tenir en France

Ces hommes et ces femmes sont nés, ont grandi et se sont radicalisés en France, avant de rejoindre une organisation terroriste qui a elle-même fomenté des attentats perpétrés en France. C’est donc sur le sol français qu’ils doivent répondre pénalement de leur responsabilité. Les autorités irakiennes ont clairement émis le souhait de voir ces détenus transférés dans leur pays et ont même lancé des démarches à cette fin. Elles se heurtent toutefois au silence des autorités françaises.

Nous, victimes des attentats, avocats de ces Français détenus en Irak, avocats de victimes du terrorisme, viscéralement attachés à l’Etat de droit et à la nécessité que des procès se tiennent en France, demandons officiellement aux autorités françaises de transférer ces hommes et ces femmes sur le territoire français afin qu’ils y répondent de leurs actes.

Aucune vérité ne peut découler de procès arbitraires, qui plus est en l’absence des victimes, aucune peine juste ne saurait être prononcée à l’issue de traitements inhumains et dégradants. Aussi, des procès justes et équitables doivent-ils se tenir en France. Parce que cette histoire judiciaire est notre histoire.


Les djihadistes français détenus en Irak souhaitent purger leur peine en France

Détenus dans des conditions épouvantables, quatorze Français, douze hommes et deux femmes, tous condamnés pour appartenance à l’Etat islamique, demandent leur rapatriement. 

Par Christophe Ayad du Monde Publié le 07 octobre 2024 à 05h30, modifié le 07 octobre 2024 

La djihadiste française Mélina Boughedir, au tribunal de Bagdad, le 19 février 2018. Elle est désormais détenue à la prison d’Al-Russafa, dans la capitale irakienne.  STRINGER / AFP

Quatorze Français djihadistes sont détenus dans les prisons irakiennes, douze hommes et deux femmes. Arrêtés par les forces arabo-kurdes en 2017 ou 2018 en Syrie, les hommes, tous des combattants de l’organisation Etat islamique (EI), avaient été transférés en Irak en vertu d’un accord secret passé avec Bagdad par Jean-Yves Le Drian, alors ministre des affaires étrangères, et critiqué par la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits de l’homme. Les femmes avaient, pour leur part, été arrêtées par l’armée irakienne pendant la bataille de Mossoul, où elles résidaient avec leur mari membre de l’EI.

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Une fois à Bagdad, les hommes ont été incarcérés, jugés et condamnés à mort pour participation à une organisation terroriste, suscitant l’embarras de Paris. Les procès, qui se sont tenus en mai et juin 2019, n’avaient duré qu’une demi-heure, sans avocat ni traducteur. Les accusés, qui avaient souligné n’avoir jamais combattu en Irak mais plutôt en Syrie, avaient également fait état de torture. A l’époque, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, avait déclaré que Paris ne contestait pas « l’équité de ces procès » qui se sont tenus « dans de bonnes conditions avec une défense présente ». La Cour suprême fédérale d’Irak a fini par commuer les peines capitales en prison à vie, en juin 2023. Mais leurs conditions de détention posent problème et ils demandent aujourd’hui leur rapatriement afin de purger leur peine en France.

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Depuis 2019, ces Français, à l’exception de l’un d’entre eux, incarcéré à Nassiriya, dans le sud de l’Irak, sont détenus à la prison d’Al-Russafa, dans la capitale irakienne. C’est aussi le cas des deux Françaises, Djamila Boutoutaou et Mélina Boughedir, condamnées à vingt ans de réclusion en 2018. Aussi graves soient les crimes qu’ils aient pu commettre, leurs conditions de détention y sont épouvantables et indignes, selon quatre avocats français qui ont pu visiter leurs clients, à deux reprises ces douze derniers mois, dans leur prison de Bagdad – une première fois du 29 septembre au 3 octobre 2023, puis du 20 au 21 février 2024. Mes Matthieu Bagard, Marie Dosé, Chirine Heydari-Malayeri et Richard Sédillot ont rédigé, à l’attention des autorités françaises, deux mémorandums approfondis que Le Monde a pu consulter.

Nourriture avariée

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Dans la prison pour hommes, les avocats ont pu rendre visite à cinq détenus français dont ils sont les conseils. Quatre d’entre eux sont parqués dans une cellule qui compte 108 à 123 prisonniers, selon les périodes, pour 100 mètres carrés. Il est impossible aux détenus de s’asseoir par terre tous ensemble. Ils dorment sur des matelas sales posés à même le sol, sur le côté et à plusieurs pour pouvoir s’allonger. Le climatiseur de la cellule étant en panne, les gardiens ont demandé aux prisonniers de se cotiser pour en racheter un neuf.

Le récit livré par les avocats dans leur mémorandum est édifiant. La douche, les toilettes et la kitchenette de la cellule, qui pullule de cafards, sont côte à côte, séparées par un simple rideau. Il faut donner quelque chose au détenu qui fait office de chef de cellule pour pouvoir prendre une douche. Pour accéder aux deux toilettes à la turque la nuit, les détenus doivent piétiner leurs congénères. Il n’existe aucun système de lingerie. La gale est courante, la nourriture souvent avariée et insuffisante. Le médecin de la prison ne prescrit que du paracétamol ou des antibiotiques, quelle que soit la maladie.

Sous-alimenté, Léonard Lopez souffre d’une dystrophie et voit les muscles de son dos et de sa poitrine fondre. Il lui est interdit, comme aux autres, de pratiquer la moindre activité s’apparentant à du sport, y compris pendant les promenades, qui se limitent à une vingtaine de minutes une ou deux fois par semaine. Karam El Harchaoui souffre d’un scotome (taches noires dans le champ visuel) et Vianney Ouraghi d’asthme. L’un des détenus français s’est arraché deux dents avec un fil de fer, faute de dentiste. Il arrive que des détenus meurent en cellule.

Les djihadistes français partagent leur cellule avec des miliciens chiites irakiens, qui leur sont farouchement hostiles. Les bagarres, violences entre détenus et agressions sexuelles sont fréquentes. En cas de conflit, les gardiens prennent le parti des chiites, souvent leurs coreligionnaires, écrivent les avocats. En cellule, une télévision allumée en permanence déverse de la propagande religieuse chiite de 8 heures à 23 heures. Les livres sont interdits.
Plainte contre X

Plainte contre X

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Dans la prison des femmes, femmes et enfants sont détenus tous ensemble. Les enfants sont régulièrement frappés et insultés par les gardiens, selon les constatations des avocats, et doivent participer aux tâches ménagères comme le transport de nourriture. Ils n’ont accès à aucune éducation. Djamila Boutoutaou n’a plus aucune nouvelle depuis quatre ans de sa fille rapatriée en France, malgré une décision du tribunal des enfants de Bobigny l’autorisant à garder le contact avec l’enfant, aujourd’hui âgée de 8 ans. Malade, Mme Boutoutaou pèse aujourd’hui 120 kilos sans prendre plus d’un repas par jour. Sa santé est en grave danger. La seule distraction autorisée est la lecture du Coran en arabe. Les agressions sexuelles commises par le personnel pénitentiaire sont monnaie courante.

Les communications téléphoniques des détenus français avec leur famille et leurs avocats ne sont possibles que depuis peu. Les dons des familles (médicaments, livres, vêtements, nourriture, etc.) sont souvent saisis par les gardiens ou la direction de la prison.

« Tous les détenus rencontrés portent les stigmates des violences commises, qu’elles soient de nature physique, psychologique ou sexuelle, subies quotidiennement depuis des années. (…) On peut considérer que leur état physique et psychique est particulièrement inquiétant, et qu’aucun des soins que cet état exige n’est prodigué », résume le mémorandum.

Djamila Boutoutaou, Vianney Ouraghi et Brahim Nejara ont déposé plainte en France contre X, par le biais de leurs avocats, pour « actes de torture et de barbarie », ainsi que pour « séquestration arbitraire ». C’est aussi le cas de Léonard Lopez, Yassine Sakkam et Karam El Harchaoui. Des demandes de transfèrement ont été effectuées par tous les détenus représentés durant les douze derniers mois. Mais le ministère de la justice a fait savoir aux avocats que la demande devait émaner des autorités irakiennes. En septembre, les détenus se sont vu proposer par les autorités irakiennes de signer un texte en arabe demandant leur rapatriement en France, où ils purgeraient le reste de leur peine.

Statut de témoin assisté

Ces détenus djihadistes français sont tous poursuivis en France dans le cadre d’autres procédures pour terrorisme. Leurs avocats, pour pouvoir les rencontrer, doivent obtenir un permis du ministère irakien de la justice − et du ministère de l’intérieur, dans le cas de Mme Boutoutaou. Les avocats des hommes « n’ont pas pu préparer leur défense dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges », mentionne le mémorandum. Tous les entretiens se sont déroulés en même temps, dans le bureau du directeur de la prison, en présence d’une agente pénitentiaire et d’un membre des services de renseignement. Dans la prison des femmes, Me Marie Dosé, l’avocate de Djamila Boutoutaou, a rencontré sa cliente en présence de la directrice de l’établissement pénitentiaire et de quatre hommes.

A la deuxième visite en Irak, les avocats des hommes n’ont pas eu le droit de prendre ni papier ni stylo lors des entretiens. Quant à l’avocate défendant Djamila Boutoutaou, Me Dosé, elle a subi une fouille s’apparentant à une agression sexuelle.

De manière surprenante, soulignent les avocats, un juge d’instruction antiterroriste français a pris l’initiative de venir à Bagdad interroger un détenu français, Fodil Tahar Aouidate, sous le statut de témoin assisté, alors qu’il est pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt pour la même procédure. Ce dernier n’ayant pas d’avocat français, le juge a fait appel à un avocat commis d’office de la conférence, qui a accepté de l’accompagner lors de son transport à Bagdad, du 5 au 8 décembre 2023. Fodil Tahar Aouidate a été entendu dans le bureau du premier président de la cour d’appel de Bagdad en présence d’une demi-douzaine de personnes, dont l’officier de sécurité qui l’avait interrogé et torturé à son arrivée en Irak, a-t-il fait savoir à ses autres codétenus, qui l’ont transmis à la délégation des avocats français.

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Sur le papier, rien ne s’oppose à l’exécution de cette commission rogatoire internationale, mais les conditions de l’audition par le juge et de détention du « témoin » − identique à celles des autres Français rencontrés par la délégation de quatre avocats − ne manquent pas d’interroger. « Je trouve déplorable que les magistrats instructeurs se déplacent jusqu’en Irak pour entendre, sous un statut parfaitement inadapté, celui de témoin assisté, des ressortissants français qui sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international et qui sont détenus dans des conditions qui ne permettent pas d’être interrogés dans le respect de nos principes fondamentaux », s’insurge Me Marie Dosé.

Ce statut de témoin assisté permet de préserver les droits de la personne entendue à l’étranger, explique une source proche du dossier. Une autre audition de la même sorte par une juge antiterroriste est prévue dans les semaines à venir à Bagdad.

Rectificatif le 7 octobre à 15 h 07 : correction du nombre de djihadistes français détenus en Irak et du nombre de ceux ayant déposé plainte en France, ainsi que de leurs dates d’arrestation.

Christophe Ayad

120 enfants et une cinquantaine de femmes djihadistes françaises toujours détenus dans le Nord-Est syrien

Les mères restant en Syrie refusent d’être rapatriées. Mais le sort de leurs enfants, de plus en plus grands, inquiète. Des grands-parents demandent leur retour en France. 

Par Christophe Ayad du Monde, publié le 07 octobre 2024 à 14h00

Une Française, épouse d’un djihadiste français, et quatre de leurs cinq enfants, dans une zone de contrôle de la province syrienne de Deir ez-Zor, après avoir fui l’ancien bastion EI de Baghouz, le 5 mars 2019.  DELIL SOULEIMAN / AFP

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Malgré les opérations massives de rapatriement opérées en 2022 et en 2023, il reste 120 enfants et leurs mères djihadistes françaises dans les camps de détention kurdes du Nord-Est syrien. C’est un nombre considérable, d’autant qu’au fil des années, les enfants grandissent et deviennent des adolescents, voire de jeunes adultes. « La France conditionne aujourd’hui toute opération de rapatriement à la formulation de demandes explicites de ces femmes qui ne peuvent ou ne veulent pas », explique Me Marie Dosé, qui milite depuis des années pour un rapatriement de tous les enfants de djihadistes français détenus en Syrie.

L’avocate estime que leur situation actuelle est une punition pour des crimes commis par leurs parents et qu’en les abandonnant à leur sort, dans des camps gardés par les forces kurdes dans le nord de la Syrie, on encourage leur radicalisation précoce sous l’influence de mères jusqu’au-boutistes. Me Dosé, mandatée par le Conseil national des barreaux, et Me Matthieu Bagard, coprésident d’Avocats sans frontières France, ont organisé, pour la deuxième fois en 2024, un voyage sur place, fin août, avec une délégation de sept grands-parents de ces enfants.

Selon l’avocate, la cinquantaine de femmes ayant refusé tout rapatriement à ce jour se divise en deux groupes, « celles qui restent très radicalisées et celles qui ont peur, soit des autres femmes, soit d’être séparées de leurs enfants à l’arrivée en France »« Ce que j’observe au fil du temps qui passe, c’est la situation changer et se dégrader pour ces enfants », explique Me Bagard.

« Ils souffrent et dépérissent »

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Pour les grands-parents, qui ont témoigné anonymement lors d’une conférence de presse organisée en septembre au cabinet parisien des deux avocats, il s’agissait parfois de la toute première réunion avec leur fille depuis son départ pour la Syrie au milieu des années 2010. Ces grands-parents, membres du Collectif des familles unies, demandent le rapatriement des enfants. Pour Laurent (le prénom a été modifié), « ces retrouvailles auraient dû se passer en France et non pas dans un camp sordideNos petits-enfants se projettent en France. Ils ont envie de rentrer, c’est évident ». « Ce fut tout à la fois une immense joie [de les retrouver] et un déchirement de devoir quitter nos petits-enfants et de les laisser derrière nous, dans ce camp [de Roj], où ils souffrent et dépérissent depuis six ans, sans protection, sans école et sans soins », écrit le collectif dans son communiqué.

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https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/10/07/120-enfants-et-une-cinquantaine-de-femmes-djihadistes-francaises-toujours-detenus-dans-le-nord-est-syrien_6345991_3224.html

Les plus âgés des garçons, entre 12 et 14 ans, sont transférés par les autorités autonomes kurdes dans les centres de réhabilitation d’Orkesh et de Houri, ainsi que dans la prison d’Alaya. La délégation a pu rencontrer cinq jeunes majeurs et un mineur français qui y sont incarcérés. « Leur état de santé est catastrophique, les rapatrier est une question de vie ou de mort », a alerté Me Dosé.

« Le projet de l’administration [kurde] du nord-est de la Syrie est d’extraire tous les garçons de plus de 12 ans (…) des camps d’Al-Hol et de Roj pour les interner dans ces centres de réhabilitation avant de les incarcérer dans une prison pour adultes. Un projet qui implique que de jeunes garçons, contre lesquels aucune procédure judiciaire n’est engagée en Syrie et dont la plupart sont arrivés dans le camp très jeunes, soient condamnés à une détention arbitraire sans fin », explique le communiqué du Collectif des familles unies.

La France a cessé, à l’été 2023, les rapatriements collectifs, après avoir mené quatre opérations en un an ayant permis de faire revenir 57 femmes et 169 mineurs. « Ces enfants sont des victimes, pas des bourreaux. Cette situation ubuesque sera une tache indélébile pour la France. C’est la honte de la France. Le temps limite est arrivé », a fustigé Patrick Baudouin, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, lors de la conférence de presse.

Actuellement, 364 enfants rapatriés de Syrie sont suivis par des juges pour enfants en France. Ils « ne posent aucune difficulté particulière », selon le procureur national antiterroriste, Olivier Christen, interrogé en septembre par Franceinfo.

Christophe Ayad

Enfants français retenus dans les camps en Syrie : « C’est la honte de la France ! »

Un collectif d’avocats et d’humanitaires et de familles dénonce l’absence de volonté de la France de rapatrier de nombreux enfants encore prisonniers en Syrie.

Par Timothée Boutry  du Parisien, le 18 septembre 2024 à 18h46

Une enfant dans le camp de Roj (octobre 2023). Des grands-parents français se sont rendus cet été dans les camps de réfugiés kurdes où 120 enfants français et leurs mères croupissent. AFP/Delil souleiman

Au mois d’août, ils ont enfin fait connaissance avec leurs deux petits-fils de 6 et 7 ans, nés en captivité : « Au début, ils étaient un peu intimidés mais ça s’est bien passé. Ils manquent de tout et vivent sous des tentes dans des conditions matérielles et sanitaires déplorables. » Lors de ce déplacement dans le camp de Roj, au Kurdistan syrien, où sont retenus les femmes djihadistes et leurs enfants, ils ont aussi pu serrer dans leurs bras le corps chétif de leur fille, qu’ils n’avaient pas revue depuis neuf ans. « On l’a sentie extrêmement lasse et fatiguée. »

Ce couple fait partie des sept grands-parents qui se sont rendus cet été avec Me Marie Dosé, l’avocate du Collectif des familles unies, et Me Matthieu Bagard, coprésident d’Avocats sans frontières, dans les camps de réfugiés kurdes, où 120 enfants français et leurs mères croupissent. Lors d’une conférence de presse organisée ce mercredi 18 septembre, ces grands-parents meurtris et plusieurs organisations ont lancé un nouvel appel pour le rapatriement immédiat de tous les ressortissants français.

« Les Kurdes nous demandent pourtant de les reprendre »

Lors de ce déplacement estival, les avocats, mandatés par le Conseil national des barreaux (CNB), ont non seulement eu accès aux camps de réfugiés, mais également aux centres de réhabilitation d’Orkech et de Houry, où sont emmenés les garçons à l’adolescence, ainsi qu’à la prison d’Alaya.

« Six enfants français, de jeunes majeurs et un mineur, sont détenus là. La priorité, c’est de les ramener eux. Ils sont dans un état physique et psychologique catastrophique, c’est même une question de vie ou de mort. Après une première visite en février, nous avions demandé leur rapatriement au Quai d’Orsay. L’absence de réponse correspond à un refus implicite. Les Kurdes nous demandent pourtant de les reprendre », développe Marie Dosé qui a lu des extraits de leurs lettres de demandes de retour.

« On l’a oublié et on le laisse crever »

Dans chaque courrier, la même détresse : A., né à Toulouse en 2002, qui souffre d’intenses douleurs après avoir été gravement blessé par des éclats de mortier ; A., lui aussi né dans la ville rose en 2002 et qui tombe régulièrement dans les pommes après avoir sauté sur une mine ; I., né en Corse en 2004, emmené de force en Syrie par ses parents lorsqu’il avait 12 ans et malade du rein. L’un d’eux se trouve à Orkech alors que sa mère et ses frères et sœurs ont été rapatriés en janvier 2023. « On l’a oublié et on le laisse crever », assène Marie Dosé. Tous ces jeunes sont judiciarisés. Ils ont également reçu à plusieurs reprises la visite des services de renseignement français.

« Quand il nous a vus, notre petit-fils de 15 ans s’est jeté dans nos bras. Il était abasourdi qu’on ait fait un tel trajet et ne pensait jamais nous revoir. Il était très amaigri », racontent des grands-parents après leur visite à Orkech – leur fille et leurs trois autres petits-enfants de 13, 9 et 5 ans sont à Roj. « C’est abominable de laisser ces enfants qui n’ont rien demandé grandir dans ces conditions, sans soins ni instruction », ajoutent-ils.

Au-delà du cas de ces 6 adolescents, se pose la question plus globale du rapatriement de tous les enfants qui n’ont pas été concernés par les différentes vagues de retour déjà intervenues. « La France conditionne toute opération à l’accord des mères. Celles qui refusent le font pour différentes raisons : elles peuvent être radicalisées, fragiles psychologiquement ou tout simplement incapables de se projeter dans la séparation d’avec leurs enfants avec lesquels elles vivent en symbiose depuis de si longues années, expose Me Dosé. Mais aujourd’hui, la France doit protéger ces enfants de l’incapacité de leurs mères à prendre les bonnes décisions. »

Ces enfants ont un nom, un visage. On les voit grandir »

L’attente pour les proches n’en est que plus insoutenable. « C’est impossible de décrire ce qui nous submerge quand on retrouve ses petits-enfants, décrit un couple. Ils avaient 1, 3 et 7 ans lorsqu’ils sont arrivés dans le camp. Ils sont parfaitement innocents et, pourtant, ils purgent une peine. Malgré tout, les deux aînés se projettent dans l’avenir avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. »

Et ce couple de rappeler que la France est quasiment le seul pays européen à ne pas avoir rapatrié ses jeunes ressortissants. « Ces enfants ont un nom, un visage. On les voit grandir. On a peur pour eux quand l’hiver approche. On se demande comment un pays peut les abandonner et leur faire subir une injustice aussi vertigineuse », interroge l’humoriste Sophia Aram du collectif des parrains-marraines.

De l’avis de tous les intervenants, seul le manque de courage politique empêche un retour massif. « C’est la honte de la France. Cela restera comme une tache indélébile », martèle Patrick Baudouin, le président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). « Il y a un décalage terrible entre une diplomatie qui se glorifie, à juste titre, d’avoir fait adopter des textes sur la protection de l’enfance et son incapacité à les appliquer là où cela demande de la créativité », développe l’avocat et ancien ambassadeur François Zimeray, en rappelant que les principales associations de victimes du terrorisme militent également pour ces retours.

La semaine dernière sur France Info, le procureur national antiterroriste Olivier Christen a indiqué que les 364 enfants jusqu’ici rapatriés « ne posent aucune difficulté particulière ».

Timothée Boutry 

NOUVELLE MISSION DANS LE NORD-EST DE LA SYRIE : RENCONTRES AVEC LES ENFANTS FRANÇAIS PRISONNIERS  :

Communiqué de presse du 18/09/24

Camp de prisonniers Roj, centres Orkesh et Houri, prison Alaya

Sept grands-parents, tous membres du Collectif des Familles Unies, se sont rendus à la fin du mois d’août dans le Nord-Est de la Syrie, pour rencontrer leurs petits-enfants détenus dans le camp de prisonniers Roj, les centres de « réhabilitation » Orkesh et Houri, et la prison d’Alaya. Ils étaient accompagnés par Me Matthieu Bagard, co-président de Avocats sans frontières France, et Me Marie Dosé, mandatée par le Conseil National des Barreaux.

C’est la deuxième visite cette année d’une délégation française de familles et d’avocats dans le Nord-Est de la Syrie : en février dernier, Me Dosé et Me Bagard, accompagnés de deux représentants du Collectif des Familles Unies, avait pu avoir accès au camp Roj, où ils avaient rencontré des enfants et des femmes françaises, et au centre Orkesh, où quatre jeunes français leur avaient exprimé leur désespoir et leur désir d’être rapatriés. Cette mission a également été l’occasion de retrouvailles entre des enfants français et leurs grands-parents.


En février, notre délégation composée de quatre personnes avait pu circuler librement dans le camp et entrer dans les tentes. Cette fois-ci, les rencontres ont eu lieu dans les locaux de l’administration. Des grands-parents ont pu serrer dans leurs bras des petits-enfants qu’ils ne connaissaient pas ou qu’ils n’avaient pas vus depuis des années. Nous avons eu accès au camp deux jours de suite, et avons longuement échangé avec nos petits-enfants et leurs mères. Nous avons évoqué leurs conditions de vie misérables et répondu à leurs questions sur leur avenir, leur famille, leur pays… Nous avons dialogué, non seulement avec nos familles, mais avec d’autres femmes françaises du camp, venues nous parler ou interroger Mes Dosé et Bagard sur les conditions d’accueil en France. Ce fut tout à la fois une immense joie et un déchirement de devoir quitter nos petits-enfants et de les laisser derrière nous, dans ce camp, où ils souffrent et dépérissent depuis six ans, sans protection, sans école et sans soins.

Le troisième jour, nous sommes rentrés dans les centres Orkesh et Houri et dans la prison d’Alaya pour rencontrer les mineurs et jeunes majeurs français qui y sont incarcérés. Nous avons rencontré des jeunes français blessés (certains très sérieusement), malades, épuisés, qui ne comprennent pas pourquoi leur pays les abandonne dans ces centres de détention et ces prisons où ils errent sans but depuis qu’ils ont douze, treize ou quatorze ans. Le plus jeune d’entre eux a 15 ans. Il a été arraché à sa mère, ses frères et sœurs il y a un an et demi dans le camp Roj. Un autre est détenu seul dans le centre Houri depuis six ans. Un troisième, oublié par le quai d’Orsay, a vu toute sa famille rapatriée en France sans lui. Un quatrième a tenté de se suicider dans sa cellule avant d’être sauvé in extremis par un prisonnier syrien. L’avenir de ces jeunes français, nous ont confirmé les responsables kurdes, est soit un rapatriement en France, soit la prison en Syrie sans aucune certitude qu’ils en sortent un jour. Le projet de l’Administration du Nord-Est de la Syrie est d’extraire tous les garçons de plus de 12 ans – que leur pays ne rapatrierait pas – des camps Al-Hol et Roj pour les interner dans ces centres de « réhabilitation » avant de les incarcérer dans une prison pour adultes. Un projet qui implique que de jeunes garçons, contre lesquels aucune procédure judiciaire n’est engagée en Syrie et dont la plupart sont arrivés dans les camps très jeunes, soient condamnés à une détention arbitraire sans fin. Tous ces garçons nous ont suppliés, ont supplié les avocats de les sortir de cet enfer.

Nous avons quitté la Syrie avec un sentiment d’amertume et de profonde tristesse. Comment un Etat de droit comme la France, qui se proclame le pays des droits de l’homme, peut-il abandonner ses enfants dans des conditions pareilles ? Comment peut-on accepter qu’on punisse des enfants innocents pour des faits qu’ils n’ont pas commis ? 

En 2019, tout était prêt pour rapatrier tout le monde, adultes et enfants. Puis le pouvoir politique a lâchement renoncé. D’abord, on n’a rapatrié personne en avançant des raisons plus fallacieuses les unes que les autres, puis les orphelins uniquement (et notamment une petite orpheline dont la mère est morte dans le camp, sous ses yeux), puis les enfants sans leurs mères… De 2019 à 2022, 35 enfants seulement ont été rapatriés.

Enfin, après les condamnations de la France par les comités onusiens et la Cour Européenne des droits de l’homme, 134 enfants et leurs mères ont été rapatriés de juillet 2022 à juillet 2023. 

Depuis juillet 2023, rien. L’Etat français a laissé sur place, dans le camp de prisonniers Roj, une cinquantaine de femmes et environ 120 enfants (la responsable kurde de la sécurité du camp Roj nous a confirmé qu’il restait cinquante familles françaises dans le camp), au prétexte que les femmes qui restaient n’avaient pas accepté le rapatriement, et qu’elles conservaient l’autorité parentale sur leurs enfants. Aucune autre opération de rapatriement n’était donc envisagée, et l’on pouvait, en toute quiétude, abandonner une centaine d’enfants français à un emprisonnement sans fin dans des conditions épouvantables.

Grands-parents, qui se sont rendus à la fin du mois d’août dans le Nord-Est de la Syrie, dans le camp de prisonniers Roj et des centres de « réhabilitation » Orkesh et Houri, et la prison d’Alaya, accompagnés par Me Matthieu Bagard, d’Avocats sans frontières France, et Me Marie Dosé, mandatée par le Conseil National des Barreaux.

L’Etat français oublie que ces femmes et ces enfants sont prisonniers des Forces Démocratiques Syriennes, qui sont membres de la Coalition contre Daech, dirigée par les Etats-Unis, et dont la France fait partie.

L’Etat français oublie que les Forces Démocratiques Syriennes demandent expressément aux pays étrangers de rapatrier leurs ressortissants, et considèrent que ces pays doivent assumer la responsabilité de leurs citoyens détenus.

L’Etat français oublie que toutes les femmes françaises détenues dans le camp Roj font l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par des juges français qui travaillent depuis dix ans sur leurs dossiers d’instruction.

L’Etat français oublie que ces enfants subissent une détention arbitraire, dénoncée par les Rapporteurs des Nations Unies, la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie, les organisations internationales des droits humains. 

L’Etat français oublie que cette détention arbitraire est susceptible de constituer un crime de guerre, que la France est signataire de la Convention des droits l’enfant qui précise dans son article 37 : « Les Etats parties veillent à ce que (…) nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale et arbitraire. » 

L’Etat français oublie que le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, le Comité contre la Torture des Nations Unies, et la Cour Européenne des droits de l’homme ont jugé que les conditions de détention des enfants dans les camps syriens sont totalement contraires à l’intérêt supérieur des enfants, constituent des traitements inhumains et dégradants, et portent atteinte à leur droit à la vie.

L’Etat français oublie que l’intérêt supérieur de l’enfant (qui n’est pas de survivre en détention dans un camp sordide) doit prévaloir sur l’avis d’une mère toujours radicalisée, ou terrorisée par la perspective de devoir se séparer de ses enfants avec lesquels elle a vécu en osmose forcée durant dans d’années.

L’Etat français oublie que la protection de l’enfance, dans tous les cas de figure, est un devoir absolu, et que la diplomatie française a fait de la protection de l’enfance dans les conflits armés une « priorité absolue » (et si peu respectée…)

L’Etat français oublie que la France peut trouver une solution globale pour ramener TOUS ces enfants et leurs mères en France, et respecter ainsi le droit international, les droits de l’enfant, nos principes et nos valeurs. Des solutions existent, les autorités françaises les connaissent, les autorités kurdes sont prêtes à collaborer et à participer à une solution globale de rapatriement, qui mettrait fin à l’une des pages les plus honteuses de notre histoire.

***

Notre Collectif, après cette mission, demande solennellement et de nouveau au Président de la République et au gouvernement français de rapatrier les ressortissants français détenus dans le Nord-Est de la Syrie et en Irak, en particulier les enfants détenus dans le camp Roj et les garçons détenus dans les centres et prison Orkesh, Houri et Alaya. Les adultes doivent être jugés en France, où le Parquet National Antiterroriste, les magistrats instructeurs antiterroristes et les associations de défense des victimes du terrorisme les réclament. 

Après tant d’années, ces enfants doivent être enfin libérés et rentrer chez eux. C’est une question de dignité.

Nous remercions l’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie pour avoir autorisé ces visites.

Le 18 septembre 2024.

Le Collectif des Familles Unies