Le tribunal administratif a donné, jeudi 13 mars, deux mois au ministre des affaires étrangères pour répondre à chaque demande de rapatriement en la motivant personnellement. Huit femmes et leurs 29 enfants sont concernés.
Christophe Ayad, Le Monde, Publié le 13 mars 2025 à 17h47, modifié le 14 mars 2025 à 09h12

Dans le camp Roj, où sont détenus des proches de personnes soupçonnées d’avoir appartenu au groupe Etat islamique, en Syrie, en octobre 2023. DELIL SOULEIMAN/AFP
Dans le long combat mené par les proches de femmes françaises djihadistes détenues avec leurs enfants dans des camps kurdes du Nord-Est syrien, la décision du tribunal administratif de Paris du jeudi 13 mars est une étape décisive. La juridiction administrative, saisie par les avocats de huit femmes, qui ont la charge de 29 enfants âgés de 6 à 15 ans, a annulé les refus opposés par le ministère des affaires étrangères à leurs demandes de rapatriement en France. MeMarie Dosé, qui représente ces femmes, a salué « une décision historique ».
Cette décision, inédite, est une conséquence de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 14 septembre 2022 à Strasbourg. Dans son arrêt, la CEDH demandait à la France de motiver personnellement ses refus et de créer une instance indépendante de recours en cas de refus de rapatriement. Pour avoir insuffisamment motivé ses refus, le ministère des affaires étrangères est désormais mis en demeure par le tribunal administratif de réexaminer les demandes de rapatriement dans un délai de deux mois. C’est un pas de plus vers la judiciarisation d’une question qui était restée jusqu’à présent dans une zone de non-droit, dépendant de l’arbitraire de l’exécutif et de la raison d’Etat.
La France est le pays occidental qui compte le plus grand nombre de détenus djihadistes en Syrie : plus de 70 hommes, quelque 50 femmes et 120 enfants. Si le sort des hommes, tous considérés comme des combattants, ne fait pas vraiment débat dans l’opinion, celui des femmes et des enfants est autrement controversé. Notamment à cause des conditions dans lesquelles sont détenus ces enfants, parqués dans des camps à ciel ouvert, dormant sous des tentes été comme hiver, sans éducation ni soins dignes de ce nom, depuis 2019 et la chute du dernier bastion de l’organisation Etat islamique en Syrie. Ces enfants soit ont été emmenés de force par leurs parents depuis la France, soit sont nés en Syrie.
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Plus de nouveaux rapatriements
La perpétuation de cette situation de « provisoire permanent » et de non-droit pose des problèmes de sécurité et d’humanité, alors que les enfants avancent progressivement vers l’adolescence ou l’âge adulte. Six mineurs et jeunes majeurs sont ainsi détenus dans un centre de rééducation Orkesh, destiné aux garçons, et sont séparés de leur mère et de leur fratrie à l’adolescence. Leurs grands-parents, oncles et tantes vivant en France multiplient démarches judiciaires et voyages sur place pour alerter l’opinion et les pouvoirs publics.
Après quatre vols de rapatriement collectifs, en 2022 et 2023, la France ne souhaite plus effectuer de nouveaux rapatriements, y compris celui d’un jeune resté sur place lors de ces retours collectifs. Il avait été tout simplement oublié au moment du regroupement. Entre-temps, plusieurs femmes, qui étaient jusque-là opposées à l’idée de rentrer en France, par radicalisme religieux ou par peur de perdre la garde de leurs enfants, ont fait connaître leur désir de revenir malgré les poursuites judiciaires qui les attendent. Les mères sont, en effet, toutes visées par un mandat d’arrêt français.
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Sollicité tout au long de l’année 2024, le ministère des affaires étrangères a fait la sourde oreille ou a opposé son refus à de nouveaux rapatriements, arguant parfois de l’absence du consentement explicite de certaines mères ou des difficultés sécuritaires à mener une telle opération sur place. Après avoir saisi la Défenseure des droits, Claire Hédon, Me Marie Dosé, soutenue par l’association Avocats sans frontières France, a effectué des recours auprès du tribunal administratif de Paris concernant sept décisions implicites de refus de rapatriement et deux décisions explicites.
« Aucune pièce à l’appui »
Sur les décisions implicites, le tribunal administratif estime, dans son jugement, qu’il est compétent à se prononcer sur « un acte non détachable de la conduite des relations internationales de la France » − en clair un acte de gouvernement hors du champ de contrôle du juge administratif − en vertu de la décision de la CEDH de 2022, qui ne prévoit pas un droit automatique au rapatriement mais exige une décision motivée et une instance de recours. Concernant les refus explicites de rapatriement, le juge administratif observe, dans sa décision, que « le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ne produit aucune pièce à l’appui de ses allégations ».
Le tribunal a suivi l’avis de la rapporteuse publique, qui avait donné raison aux requérants, soulignant « le risque exceptionnel d’atteinte à la vie des mineurs », lors de l’audience qui s’était tenue en février.
En revanche, en ce qui concerne les hommes, la cour administrative d’appel de Paris s’était déclarée incompétente, début mars, pour demander à la France de réétudier la demande de rapatriement de trois Français partis combattre en Syrie et emprisonnés par les forces kurdes. La cour estimait que leur situation ne relevait pas « de circonstances exceptionnelles ».