NOUVELLE MISSION DANS LE NORD-EST DE LA SYRIE : RENCONTRES AVEC LES ENFANTS FRANÇAIS PRISONNIERS  :

Communiqué de presse du 18/09/24

Camp de prisonniers Roj, centres Orkesh et Houri, prison Alaya

Sept grands-parents, tous membres du Collectif des Familles Unies, se sont rendus à la fin du mois d’août dans le Nord-Est de la Syrie, pour rencontrer leurs petits-enfants détenus dans le camp de prisonniers Roj, les centres de « réhabilitation » Orkesh et Houri, et la prison d’Alaya. Ils étaient accompagnés par Me Matthieu Bagard, co-président de Avocats sans frontières France, et Me Marie Dosé, mandatée par le Conseil National des Barreaux.

C’est la deuxième visite cette année d’une délégation française de familles et d’avocats dans le Nord-Est de la Syrie : en février dernier, Me Dosé et Me Bagard, accompagnés de deux représentants du Collectif des Familles Unies, avait pu avoir accès au camp Roj, où ils avaient rencontré des enfants et des femmes françaises, et au centre Orkesh, où quatre jeunes français leur avaient exprimé leur désespoir et leur désir d’être rapatriés. Cette mission a également été l’occasion de retrouvailles entre des enfants français et leurs grands-parents.


En février, notre délégation composée de quatre personnes avait pu circuler librement dans le camp et entrer dans les tentes. Cette fois-ci, les rencontres ont eu lieu dans les locaux de l’administration. Des grands-parents ont pu serrer dans leurs bras des petits-enfants qu’ils ne connaissaient pas ou qu’ils n’avaient pas vus depuis des années. Nous avons eu accès au camp deux jours de suite, et avons longuement échangé avec nos petits-enfants et leurs mères. Nous avons évoqué leurs conditions de vie misérables et répondu à leurs questions sur leur avenir, leur famille, leur pays… Nous avons dialogué, non seulement avec nos familles, mais avec d’autres femmes françaises du camp, venues nous parler ou interroger Mes Dosé et Bagard sur les conditions d’accueil en France. Ce fut tout à la fois une immense joie et un déchirement de devoir quitter nos petits-enfants et de les laisser derrière nous, dans ce camp, où ils souffrent et dépérissent depuis six ans, sans protection, sans école et sans soins.

Le troisième jour, nous sommes rentrés dans les centres Orkesh et Houri et dans la prison d’Alaya pour rencontrer les mineurs et jeunes majeurs français qui y sont incarcérés. Nous avons rencontré des jeunes français blessés (certains très sérieusement), malades, épuisés, qui ne comprennent pas pourquoi leur pays les abandonne dans ces centres de détention et ces prisons où ils errent sans but depuis qu’ils ont douze, treize ou quatorze ans. Le plus jeune d’entre eux a 15 ans. Il a été arraché à sa mère, ses frères et sœurs il y a un an et demi dans le camp Roj. Un autre est détenu seul dans le centre Houri depuis six ans. Un troisième, oublié par le quai d’Orsay, a vu toute sa famille rapatriée en France sans lui. Un quatrième a tenté de se suicider dans sa cellule avant d’être sauvé in extremis par un prisonnier syrien. L’avenir de ces jeunes français, nous ont confirmé les responsables kurdes, est soit un rapatriement en France, soit la prison en Syrie sans aucune certitude qu’ils en sortent un jour. Le projet de l’Administration du Nord-Est de la Syrie est d’extraire tous les garçons de plus de 12 ans – que leur pays ne rapatrierait pas – des camps Al-Hol et Roj pour les interner dans ces centres de « réhabilitation » avant de les incarcérer dans une prison pour adultes. Un projet qui implique que de jeunes garçons, contre lesquels aucune procédure judiciaire n’est engagée en Syrie et dont la plupart sont arrivés dans les camps très jeunes, soient condamnés à une détention arbitraire sans fin. Tous ces garçons nous ont suppliés, ont supplié les avocats de les sortir de cet enfer.

Nous avons quitté la Syrie avec un sentiment d’amertume et de profonde tristesse. Comment un Etat de droit comme la France, qui se proclame le pays des droits de l’homme, peut-il abandonner ses enfants dans des conditions pareilles ? Comment peut-on accepter qu’on punisse des enfants innocents pour des faits qu’ils n’ont pas commis ? 

En 2019, tout était prêt pour rapatrier tout le monde, adultes et enfants. Puis le pouvoir politique a lâchement renoncé. D’abord, on n’a rapatrié personne en avançant des raisons plus fallacieuses les unes que les autres, puis les orphelins uniquement (et notamment une petite orpheline dont la mère est morte dans le camp, sous ses yeux), puis les enfants sans leurs mères… De 2019 à 2022, 35 enfants seulement ont été rapatriés.

Enfin, après les condamnations de la France par les comités onusiens et la Cour Européenne des droits de l’homme, 134 enfants et leurs mères ont été rapatriés de juillet 2022 à juillet 2023. 

Depuis juillet 2023, rien. L’Etat français a laissé sur place, dans le camp de prisonniers Roj, une cinquantaine de femmes et environ 120 enfants (la responsable kurde de la sécurité du camp Roj nous a confirmé qu’il restait cinquante familles françaises dans le camp), au prétexte que les femmes qui restaient n’avaient pas accepté le rapatriement, et qu’elles conservaient l’autorité parentale sur leurs enfants. Aucune autre opération de rapatriement n’était donc envisagée, et l’on pouvait, en toute quiétude, abandonner une centaine d’enfants français à un emprisonnement sans fin dans des conditions épouvantables.

Grands-parents, qui se sont rendus à la fin du mois d’août dans le Nord-Est de la Syrie, dans le camp de prisonniers Roj et des centres de « réhabilitation » Orkesh et Houri, et la prison d’Alaya, accompagnés par Me Matthieu Bagard, d’Avocats sans frontières France, et Me Marie Dosé, mandatée par le Conseil National des Barreaux.

L’Etat français oublie que ces femmes et ces enfants sont prisonniers des Forces Démocratiques Syriennes, qui sont membres de la Coalition contre Daech, dirigée par les Etats-Unis, et dont la France fait partie.

L’Etat français oublie que les Forces Démocratiques Syriennes demandent expressément aux pays étrangers de rapatrier leurs ressortissants, et considèrent que ces pays doivent assumer la responsabilité de leurs citoyens détenus.

L’Etat français oublie que toutes les femmes françaises détenues dans le camp Roj font l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par des juges français qui travaillent depuis dix ans sur leurs dossiers d’instruction.

L’Etat français oublie que ces enfants subissent une détention arbitraire, dénoncée par les Rapporteurs des Nations Unies, la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie, les organisations internationales des droits humains. 

L’Etat français oublie que cette détention arbitraire est susceptible de constituer un crime de guerre, que la France est signataire de la Convention des droits l’enfant qui précise dans son article 37 : « Les Etats parties veillent à ce que (…) nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale et arbitraire. » 

L’Etat français oublie que le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, le Comité contre la Torture des Nations Unies, et la Cour Européenne des droits de l’homme ont jugé que les conditions de détention des enfants dans les camps syriens sont totalement contraires à l’intérêt supérieur des enfants, constituent des traitements inhumains et dégradants, et portent atteinte à leur droit à la vie.

L’Etat français oublie que l’intérêt supérieur de l’enfant (qui n’est pas de survivre en détention dans un camp sordide) doit prévaloir sur l’avis d’une mère toujours radicalisée, ou terrorisée par la perspective de devoir se séparer de ses enfants avec lesquels elle a vécu en osmose forcée durant dans d’années.

L’Etat français oublie que la protection de l’enfance, dans tous les cas de figure, est un devoir absolu, et que la diplomatie française a fait de la protection de l’enfance dans les conflits armés une « priorité absolue » (et si peu respectée…)

L’Etat français oublie que la France peut trouver une solution globale pour ramener TOUS ces enfants et leurs mères en France, et respecter ainsi le droit international, les droits de l’enfant, nos principes et nos valeurs. Des solutions existent, les autorités françaises les connaissent, les autorités kurdes sont prêtes à collaborer et à participer à une solution globale de rapatriement, qui mettrait fin à l’une des pages les plus honteuses de notre histoire.

***

Notre Collectif, après cette mission, demande solennellement et de nouveau au Président de la République et au gouvernement français de rapatrier les ressortissants français détenus dans le Nord-Est de la Syrie et en Irak, en particulier les enfants détenus dans le camp Roj et les garçons détenus dans les centres et prison Orkesh, Houri et Alaya. Les adultes doivent être jugés en France, où le Parquet National Antiterroriste, les magistrats instructeurs antiterroristes et les associations de défense des victimes du terrorisme les réclament. 

Après tant d’années, ces enfants doivent être enfin libérés et rentrer chez eux. C’est une question de dignité.

Nous remercions l’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie pour avoir autorisé ces visites.

Le 18 septembre 2024.

Le Collectif des Familles Unies